Mon physique

Elle cache son regard derrière ses mains frêles, de peur que vous ne croisiez ses iris bruns aux contours argentés. Shiloh n’a rien de spécial : elle n’est ni moche, ni jolie. Ses sourires sont des plus délicieux, car ils illuminent son minois habituellement si sombre. En effet, son visage arbore des traits navrés, inquiets, embarrassés en permanence. La mèche cachant son oeil droit renforce l’allure sinistre de la petite femme, malgré elle. De même, sa très longue chevelure foncée est si plate qu’en entourant la figure de sa propriétaire, elle lui donne un air triste.
Sa poitrine généreuse se cache derrière des chemises fermées jusqu’au plus haut bouton, recouverte également de noeuds et de bijoux pour tenter d’effacer sa présence. Les grands-mères disent souvent de ses hanches qu’elles sont parfaites pour infanter, mais que son corps est trop maigre pour supporter une grossesse. Shiloh est maigrichonne, d’une finesse donnant un air plus maladif qu’élégant. Ajouté à cela sa petite taille - un mètre soixante-deux - la jeune femme donne l’impression d’être une personne chétive et fragile. Il n’en est pourtant rien : tombant rarement malade, habituée au travail physique, le chat noir est en parfaite santé et capable de courir sans s’arrêter pendant un long temps.

Sa peau est souvent marquée de bleus à cause de sa maladresse : Shiloh ne voit en effet presque rien de son oeil droit. Pour cette raison, elle le cache avec ses indomptables mèches, qui ont tendance à cacher son visage tout entier. La jeune femme remet perpétuellement ses cheveux du côté gauche derrière son oreille. Il lui arrive de coiffer sa chevelure en queue de cheval ou en grande natte, mais la plupart du temps, sa tignasse est lâche. Ses vêtements sont toujours très sages, bien que légèrement coquets : la demoiselle se plaît à porter des robes pour mettre en valeur sa féminité. Leurs couleurs sont sobres, du blanc au noir en passant par le bistre ou l’églantine, des couleurs ternes pour ne pas se faire remarquer.

Mon caractère

Elle est surnommée « le chat noir » car son histoire suggère que la jeune fille porte malheur. Pourtant, Shiloh a toujours eu une chance insolente à bien des niveaux. Son intuition surpasse sa médiocrité et sa banalité : tout objet qui a changé de place, tout élément semblant hors de son propos lui apparaît évident. Cela lui confère un certain recul sur les événements. Elle est à des années lumières d’être stupide, encore moins naïve, et pourtant sur bien des aspects le chat noir est encore trop candide. Elle se méfie autant du monde qu’elle lui fait confiance : peureuse néanmoins convaincue que chacun possède quelque chose de bon en lui, Shiloh possède cette volonté de devenir l’amie de chacun, de montrer le bon chemin aux âmes perdues. Elle trouve une excuse pour tout, comme si la jeune femme était incapable de voir le mal. Elle le connaît pourtant, elle sait qu’il existe ; mais ces maux sont des démons qui n’ont rien de définitif à ses yeux ingénus.

Malgré sa volonté d’être l’amie de tous, Shiloh possède des difficultés à s’intégrer dans les milieux sociaux. Elle a du mal à s’exprimer ou parler et bégaie facilement. Elle semble sans cesse embarrassée, effrayée d’être une gêne pour autrui. Ainsi, elle se laisse écraser car elle ne veut pas s’imposer. Le chat noir fuit les conflits par tous les moyens, et craint la violence. On lui a enseigné que ces choses là étaient mal, et Shiloh suit les enseignements qui lui ont été inculqués. C’est une fille un peu trop sage qui craint de sortir des limites imposées. Elle est une fervente croyante car elle n’a jamais pensé à remettre en question la religion, et il en est ainsi de tout ce qui compose son monde : ce qui existe semble aussi immuable qu’absolu. La jeune femme n’appréhende pas les complexités de l’univers et pourvue de trop d’humilité, ne considère pas qu’il est de son rôle que de chercher à comprendre : elle est trop bête pour ça.

Dénuée de confiance en elle, Shiloh complexe sur tout ce qui fait ce qu’elle est : son physique, sa personnalité, son passé. Elle s’excuse pour un rien, comme si elle était un fardeau pour l’univers tout entier et que son existence était de trop. Ce manque d’estime tend à la rendre plus maladroite qu’elle ne l’est déjà. Le chat noir ne supporte pas les confrontations quels qu’elles soient : verbales, physiques, ou même simplement être fixée du regard. Manquant de courage, elle ne s’y opposera pas, mais ces situations la rendent particulièrement mal à l’aise.

Mon histoire

Il était une petite fille sans rêves. Derrière la fenêtre barrée de la poissonnerie de son père, Shiloh ne voyait pas l'avenir brillant et démesuré que les autres enfants trouvaient à l'horizon. Ce n'était pas grave, pensait-elle. Elle n'avait pas besoin d'un rêve, se disait-elle. Après tout, Maman était là, et tout se passait bien avec son grand frère. Difficile d'entrer dans une dispute de grande ampleur avec une gamine comme Shiloh : elle acceptait toutes les concessions. Elle prenait volontiers la faute de ses bêtises malgré le sentiment d'injustice ressenti. Elle taisait ses émotions négatives pour rester une petite fille sage faisant plaisir aux autres. Et tant pis si elle devait subir. Malgré tout, les autres n'arrivaient pas à lui faire porter le chapeau trop longtemps. La chance de l'enfant était insolente : il y avait toujours quelque chose pour rétablir justice. Si la petite fille était moyenne en tout, que ce soit pour aider aux corvées que pour apprendre la lecture ou l’écriture, il existait un attribut où elle surpassait tout le monde : son intuition. Sa grand-tante en rigolait, plaisantant qu’elle serait un jour un grand détective. L'enfant s’adaptait vite à toutes les situations et remarquait tout de suite les choses qui n’étaient pas à leur place, ou les arnaques potentielles. De cet instinct s’ensuivait une chance incroyable, comme si sa perception hors du commun lui permettait d’ouvrir de nouveaux chemins.

Il était une petite boîte de musique. C'était le plus beau cadeau que Maman lui avait offert : un petit Ange dansait sur la douce mélodie. Cela lui donna envie de chanter et indirectement, sa mère lui avait donné un autre cadeau : un rêve. Shiloh voulait chanter plus encore.
Elle ne le dit à personne, pas même à ses amis. Étaient-ils vraiment les siens de toute manière ? Ils étaient les copains de son frère, qu'elle suivait partout car il était plus facile de s'intégrer avec lui que sans. Agacés que la petite sœur colle en permanence le groupe de garçons, ces derniers la moquaient beaucoup. Mais ce n'était pas grave, se disait-elle. Après tout, ils avaient raison. Il n'y avait rien d'intéressant chez elle. Maladroite, idiote, bigleuse, collante, pleurnicharde, pénible. Elle était bien toutes ces choses là, pensait-elle.

Il était un petit garçon plus pénible que les autres. Il s'amusait à lui tirer les cheveux et l'embêtait plus que de raison. Dans sa bande, il était surnommé « Le Coq ». Par malice, il cacha un jour la poupée de chiffon de Shiloh. Lorsqu'elle commença à la chercher partout, il mentit en affirmant ne pas savoir où elle était. Le frère de la petite fille était plus inquiet : sans ce bout de chiffon nommé Anne, Shiloh n'arriverait pas à dormir. C'était un cadeau de Papa, alors, elle avait quelque chose de rassurant, Anne. Elle la protégeait des monstres la nuit et des vilains garçons le jour. Mais Anne n'était plus là. Malgré ses 6 ans, la petite fille se comporta plus puérilement que les autres gamins de son âge. Elle pleura sur tout le trajet jusqu'à la maison, et ne cessa de crier, bouder, geindre. Elle n'arrêtait pas de s'excuser auprès de Papa en même temps que demander d'aller chercher Anne, parfois avec véhémence, la fatigue psychologique rendant l'enfant plus colérique chaque minute passée.

Il était une claque, tout d'abord.

Shiloh se tut instantanément en fixant de ses yeux hébétés son père. Jamais il ne l'avait frappé. Cet acte nouveau, plus violent pour le cœur de la petite fille que le geste en lui-même, la laissa ahurie, la bouche encore entrouverte de mots avortés sous la surprise.

Il était la violence, ensuite.

Maman se jeta sur Papa. Papa saignait. Papa criait. Papa avait mal. Papa cherchait à se défendre en tapant Maman. Shiloh fit un pas en arrière. Elle était incapable de comprendre le spectacle funeste se déroulant sous ses yeux. Ce démon, c'était Maman ? La petite fille trébucha sur le pied de son frère et tout deux tombèrent à la renverse. Son regard effrayé était posé sur l'épouvantable scène. L’enfant aurait voulu ne rien voir, ne rien entendre. Elle serrait plus fort son frère à chaque coup donné, à chaque giclée de sang. Le monde autour d'elle était devenu d'un coup silencieux, excepté le son répétitif de la violence sur lequel ses oreilles ne parvenaient pas à se défaire. Pour la première fois, Shiloh pria l'Horloger. Elle lui supplia silencieusement de tout arrêter quand sa voix était incapable de s'élever pour séparer ses parents.

Sa vie avait pris un tournant soudain : on lui retira sa mère, elle perdit la parole, et gagna en échange la culpabilité la plus lourde du monde. Petite fille déjà si réservée, Shiloh fut incapable de prononcer un seul mot pendant des années. Il arrivait que son frère et son père pleurent en rêvant d’entendre à nouveau la voix chantante de l’adorée membre de leur famille. Les « et si… » devinrent ses seules pensées. Si elle n’avait pas perdu Anne ce jour-là, si elle n’avait pas fait un caprice ce jour-là, et si, et si, et si… L’enfant se perdit dans ses tourments silencieux sans les partager à personne.
Shiloh n’était pas la seule à s’accabler des événements. Le Coq, le petit garçon qui lui avait joué la farce, s’accabla. Si bien que par culpabilité, il se rapprocha de la muette. Il se donna la mission d’être là pour elle, de compenser toute sa vie pour son crime. Il lui montra Anne, lui avoua toute la vérité. Mais cela ne suffit pas : Shiloh était la seule coupable, selon elle. Elle hocha lentement la tête pour signifier son désaccord et garda éternellement le poids de ce péché. Aucun mot ne put soigner la blessure ouverte de son coeur candide.

Il était une mélodie. L’enfant chantonnait aussi difficilement que doucement au rythme de sa boîte à musique. Ses yeux brillants fixaient le petit Ange tourner et tourner encore, en dissonance avec la mélodie. Son père n’avait pas pu lui refuser de couper totalement les liens avec sa mère, alors Shiloh avait commencé à lui écrire. Garder intacte la relation avec la femme qui l’avait mise au monde était très important pour son âme d’enfant. Pourtant, une distance s’était installée entre les lignes de ses racontars, ses aventures monotones omettant tous les détails trop importants ou trop personnels. Elle ne parlait jamais de son père, de temps à autre de son frère. Elle n’avoua jamais avoir perdu la voix. Ses échanges épistolaires ressemblaient aux histoires incohérentes d’un enfant. Néanmoins, quelque chose était mort entre les mots posés. Shiloh n’en avait pas vraiment conscience.
Elle demandait parfois, au moment du souper qu’elle avait préparé : est-ce que je peux aller voir Maman ? Chaque fois, le chef de la famille refusait. Cette femme, ce démon, ne pouvait plus approcher ses chers enfants. Shiloh comprenait son raisonnement, mais au fond d’elle, Maman était toujours Maman. Elle était toujours la douce femme qui l’avait élevée, adorée. Cette chose horrible qu’elle avait été, ce jour-là… Ce n’était pas vraiment elle, n’est-ce pas ?

Le Coq devint un adolescent, tout comme elle. Ils devinrent meilleurs amis et ensemble ils surmontèrent les difficultés de la vie. Shiloh retrouva peu à peu la voix, mais resta docile et réservée. Les autres enfants faisaient désormais plus que se moquer d’elle : ils l’ignoraient ou l’insultaient, avec véhémence parfois. Elle était devenue « le chat noir », celle qui portait malheur. Ils osaient à peine prononcer le nom de sa mère, de peur que cela attire le mauvais oeil. Ils évitaient sa progéniture, celle qui avait tout provoqué, la gredine qui portait le péché de sa famille. Shiloh l’acceptait avec une fatalité déconcertante : Le Coq en culpabilisa davantage. Il était témoins de la transformation de cette petite fille timide en une adolescente effrayée du contact social, écrasée par les autres. Plus jamais elle ne fit un caprice, plus jamais elle n’imposa son avis. Elle se laissait faire : plutôt subir que de créer un nouveau conflit, un nouveau malheur.

Ne supportant plus de constater l’état de son père au fil des jours, Shiloh chercha à fuir la maisonnée. Ne souhaitant de toute façon pas reprendre l’affaire familiale, elle commença à travailler très tôt, en tant que femme de chambre, sa chance aidant à trouver rapidement un patron bienveillant. D’une année à une autre, elle finit par changer de maisonnée et élargir ses compétences, devenant soubrette. Préparer le repas, faire le ménage pour des gens bien plus riches dont les merveilles de leurs demeures émerveillaient les yeux innocents de Shiloh. Elle finit par confier son rêve à son meilleur ami : elle voulait devenir chanteuse. Et ses mélodies étaient des plus merveilleuses. Pourtant, elle qui osait déjà peu élever la voix se sentait incapable de performer devant un public. Elle décida de ne chanter que pour Le Coq qui peu à peu tomba amoureux d’elle. Le chat noir l’avait compris, son instinct implacable, mais ignora ces sentiments qu’elle pensait non sincères. Il n’était après tout à ses côtés que par culpabilité, non ? Puis, lorsqu’un jour elle lui avoua être amoureuse d’un autre homme, le coeur de l’adolescent se brisa. Elle refusa de lui dire qui : elle craignait qu’il la juge. L’être que son coeur avait décidé d’aimer était après tout beaucoup plus âgé, et bien différent d’eux deux.

Néanmoins, cet amour lui donna le courage d’essayer de réaliser ses rêves. Le coeur de son meilleur ami se brisa un peu plus alors qu’elle décida de chanter pour quelqu’un d’autre que lui : dans un saloon, Shiloh fit découvrir sa voix à d’autres, émerveillant à son tour autrui. On la compara à un oiseau, puis à un ange : son chant soulageait les coeurs et tirait les sourires les plus tendres. Pourtant, lorsqu’elle eut fini sa performance, avant même d’être applaudie, Shiloh fondit en larmes et s’enfuit à toute vitesse. Elle ne revint jamais. Elle s’était persuadée d’être médiocre et avait craint les critiques négatives. Ce rêve qu’elle avait gardé pour elle-même, toute sa vie, ainsi dévoilé à tous, avait été la plus effrayante des épreuves. La plus effrayante après le drame de sa famille, bien sûr…

Curieusement, cet événement lui donna une certaine confiance en elle. Pas sur le chant, mais elle décida de faire ce qu’elle avait voulu depuis des années : revoir sa mère. Elle choisit de lui écrire une lettre, encore, en lui disant qu’elle voulait la rencontrer. Sans le dire à son père… Mais qu’était un peu de culpabilité en plus après celle d’avoir détruit sa vie ?

Mes caractéristiques