Un silence pesant régnait sur l'arène. Les deux adversaires et leurs IMR s'observaient, se toisaient. D'un côté un homme massif, aussi large que haut : un géant. De l'autre une jeune femme à la chevelure flamboyante : Titan. Dyane, de son petit nom, est une jeune femme impressionnante de prime abord. Frôlant aisément le 1,90m, elle a hérité de son père sa grande taille, une carrure charpentée et ses yeux ambrés. De sa mère, une poitrine opulente et dans l'ensemble un physique avantageux. Des hanches larges, de longues jambes, des épaules carrées. Mais aussi un visage lisse et ovale à souhait. Longue et soyeuse, sa chevelure de feu est ce qui fait qu'on la remarque aisément dans une foule. Ça et sa taille impressionnante. Ayant décidé que cela avait assez duré, les deux opposants se ruèrent en avant et la force de l'impact fit trembler les murs de l'arène alors que la foule en délire vomissait leurs cris au-dessus de leur tête.

Le géant serrait sa gorge avec sa main droite, comme un étau et Dyane commençait à avoir du mal à respirer. Sa vue se troublait mais elle ne pouvait compter que sur elle-même. Son IMR était en proie avec l'IMR de l'autre, si bien qu'elle ne viendrait pas à son secours. Qu'à cela ne tienne, Dyane était une grande fille et pouvait se débrouiller. Elle se dégagea d'un coup de poing dans l'estomac de son adversaire. Le géant recula courbé en deux. Titan en profita pour attaquer à son tour. Mais alors qu'elle se jetait sur lui, poing en avant, elle trébucha sur un caillou qui avait atterri on ne savait comment dans l'arène. Dyane s'étala de tout son long, le nez dans la poussière, sous les éclats de rire de la foule et du géant qui reprenait son souffle. Son sang ne fit qu'un tour, se souvenant des moqueries de sa grande soeur quand elles étaient enfants, à cause de sa maladresse légendaire. Mais avant d'avoir le temps de se relever, le géant était sur elle. C'est alors qu'une ombre passa devant elle, lui bouchant la vue. Wakan venait à sa rescousse comme toujours. Dyane sentit un élan de reconnaissance pour cette entité qui l'avait choisi quand elle n'avait que dix ans et qu'elle en avait le plus besoin. Il affrontait à lui seul l'IMR adverse et le géant, protégeant son humaine coûte que coûte. Dyane savait qu'il pourrait mourir pour elle. Comme le ferait un père pour ses enfants. Mais elle ne le laisserait pas faire. Reprenant contenance malgré les rires et les moqueries, la jeune femme se redressa de toute sa hauteur, bomba le torse et s'élança à nouveau. Une fois dans le combat, plus rien ne comptait. Ni ses parents morts depuis longtemps. Ni sa soeur qui l'avait abandonnée, ni la Confrérie qui utilisait sa force exceptionnelle, ni ce monde de fous où la vie n'avait aucun sens. Seule comptait la victoire, la gloire et les Dols qui couleraient à flots.

Coppertown, il y a vingt quatre ans. Une explosion retentit et une épaisse fumée noire s’élève vers le ciel, se mélangeant à celles déjà présentes. Mais chacun sait. Le soir il ne rentre pas, ni les soirs suivants, ni ceux d’après. Et leur mère s’effondre. Elle se fait de moins en moins présente, elle rentre avec des plaies, des bleus. Dasierra se fait moins moqueuse, plus dure, amère. Dyane se fait plus maladroite, elle pleure l’absence de ce père épuisé, les bras puissants dans lesquels elle aimait se blottir pour s’endormir. Elle n’avait que quatre ans et leur vie déjà difficile devint insupportable. Pourtant durant les six années qui suivirent la mort de leur père, Dyane n’avait pas tellement de quoi se plaindre. Après tout, ce qu’on ne connait pas ne peut pas nous manquer. Alors elle se lavait un jour sur deux, mangeait deux fois par jour, aidait aux tâches ménagères. Mais tout cela n’était que de la poudre aux yeux, une vie sur la sellette, un équilibre précaire.

Dasierra les avait pris dans ses bras menus. Dyane désormais âgée de dix ans dépassait sa sœur de quelques centimètres, ressemblant de plus en plus à ce colosse qui les avait engendrés et élevées. Et la brune avait poussé la porte. Elle leur avait tourné le dos pour ne plus jamais revenir. Dyane avait fixé cette porte pendant longtemps après le départ de sa grande sœur, certaine qu’elle reviendrait bientôt, des Dols plein les poches, peut-être même accompagnée d’une IMR, grande gagnante du NPMC dont elle rêvait tant. Chaque fois que la porte s’ouvrait Dyane sursautait et un grand sourire illuminait ses traits. Sa mère venait lui caresser le haut de la tête, déposait un baiser sur sa joue et la rassurait en lui disant que ce n’était qu’elle, parfaitement consciente de ce qui se passait dans la tête de sa cadette. Puis un jour c’est la mère qui ne rentra pas et Dyane continua de fixer la porte ce soir-là, de longues heures après la tombée de la nuit, jusqu’au petit matin. Mais au petit matin on défonça la porte de leur petite maison poussiéreuse et on la jeta à la rue. Sa mère était morte des coups d’un client un peu trop demandeur et comme la famille avait des dettes, on réquisitionnait l’endroit.
Dyane n’était plus rien. Rien qu’une gamine de dix ans, perdue et seule au monde. La rousse déambula dans les rues de Coppertown, chipant de la nourriture aux étals, buvant l’eau croupie des caniveaux. La gamine erra ainsi plusieurs jours durant, sans but, sans savoir quoi faire de sa vie désormais.

Dyane courait, ses pieds nus glissant sur les pavés mouillés, le bas de sa chemise de nuit déchirée, son visage d’ange maculé de crasse, sa vision brouillée par les larmes. Elle courrait à perdre haleine la fillette qui faisait plus que son âge, trop grande pour ses tout juste dix ans. Grande, déjà forte mais maladroite. Dyane trébucha, s’empêtra dans sa robe et s’écroula lourdement au sol, ses longs cheveux roux trempés par la pluie battante. Les rires gras de ses poursuivants lui indiquèrent qu’ils étaient juste derrière elle. Elle recula, terrorisée alors que les trois adolescents avançaient, sourire carnassier aux lèvres, regards lubriques. Elle n’était pas si naïve et savait parfaitement ce qu’ils allaient lui faire. Ils pensaient sans doute qu’elle avait quinze ou seize ans, comme eux. Elle leur cria qu’elle n’avait que dix ans, les suppliait qu’ils ne lui fassent pas de mal. Elle priait de toutes ses forces le Patriarche, son propre père, de lui venir en aide mais les garçons continuaient d’avancer. Soudain Dyane sentit son dos se heurter à de la pierre dure. Elle était prise au piège dans une ruelle sombre. Personne ne viendrait à son secours. S’en était fini d’elle. Elle mourrait ici, dans les bas fonds de cette ville qui l’avait vu naître et qui lui avait tout enlevé.

Mais pas sans se battre.

Dyane cessa de pleurer. Son regard devint dur alors qu’elle se relevait lentement, bien décidée à en faire baver à ses adversaires. Elle ne savait pas se battre, elle n’avait jamais joué des poings, elle qui n’était qu’une enfant trop grande et maladroite. Les garçons ne savaient plus trop ce qu’il fallait faire, c’était la première fois qu’une de leur proie leur faisait face avec l’intention de se défendre. Le chef du groupe se rua toutefois en avant mais avant que Dyane ne comprenne ce qui se passait, une ombre passa devant elle et en moins de temps qu’il n'en faut pour le dire le garçon était à terre, gémissant de douleur, et les deux autres fuyaient à toute jambe. Dyane leva les yeux, émerveillée. Une IMR gigantesque venait de lui sauver la vie et lui tendait une main de métal et de pistons. Sur son visage humanoïde Dyane crut même distinguer un sourire. La fillette attrapa cette main salvatrice et se blottit dans les bras du colosse. Le pacte était scellé, sans un mot, sans une goutte de sang. Nul besoin de cérémonial quand l’évidence est là.

L’entité au nom imprononçable fut rebaptisée Wakan par la fillette. Ensemble ils se présentèrent à la Confrérie plus pour avoir un toit et un but que par véritable vocation. Mais la fillette étant trop jeune, elle fut envoyée à l'orphelinat géré par la Confrérie. Ainsi elle n'était plus à la rue et commença son éducation, en apprenant à lire, écrire et compter. Wakan évitait toujours de parler de son passé à Dyane, si bien que la jeune fille dut se contenter de ce qu’elle connaissait de l’IMR et de ce qu’elle constatait au fil du temps. Cela lui suffisait. Quand elle eut quinze ans, Dyane rejoint enfin l'école militaire et commença sa formation. Peu de temps après son entrée à la Confrérie, c'est tout à fait par hasard que Dyane croisa sa sœur qu’elle avait failli bousculer. Le temps semblait s’être arrêté alors que leur regard se croisait. Toutefois l’aîné continua son chemin comme si Dyane n’avait jamais existé. La jeune fille en fut profondément blessée, elle qui n’aspirait qu’à retrouver sa seule famille encore en vie. Ce regard, cette ignorance, furent comme un coup en plein cœur et pendant une seconde Dyane crut mourir. Heureusement Wakan était là pour elle, et ensemble ils traversèrent les années et les épreuves, main dans la main. Dyane entra pour la première fois dans l’arène tant convoitée à peine quelques années après la fin de sa formation. Elle se choisit un nom de scène qui représentait parfaitement ce qu’elle incarnait alors, balayant l’image de fille sage et obéissante qu’elle renvoyait jusque là. Titan était né. Avec sa gigantesque IMR à ses côtés, elle semblait invincible. A côté, elle se jeta dans le travail, traquant les fugitifs, les hors-la-loi, les criminels, sans le moindre état d’âme. Obéissant aux ordres sans la moindre hésitation. En quelques années, elle grimpa les échelons, devint Initiée puis Chevalier. Même si elle n’en parlait jamais, elle n’avait pas abandonné l’idée de retrouver un jour sa grande sœur… et de lui mettre son poing dans la figure.

En attendant, chaque soir, Titan s'endort contre Wakan, blottie dans ses bras, comme la petite fille le faisait avec son père, il y a très longtemps, dans une autre vie.